Si l’adoption est admise de longue date, sa finalité s’est transformée au cours de l’histoire. Il s’agit désormais de créer un lien de filiation qui repose sur des liens affectifs. Le lien ainsi reconnu juridiquement peut parfois se substituer au lien naturel. Le secret de la réalité biologique n’est cependant pas toujours préservé.
C’est ainsi qu’un homme a appris avoir été adopté en 1966 lorsqu’il obtient, en 2007, sur sa demande, une copie intégrale de son acte de naissance. Cette démarche n’était en rien motivée par une volonté de connaître ses origines mais plutôt d’obtenir des documents d’identité pour la délivrance desquels devait être produite cette copie. Plus précisément, il apprend que les liens de filiation connus ont été créés au terme d’une légitimation adoptive.
Cette institution résultait d’un décret-loi du 29 juillet 1939 qui visait la protection de l’enfance abandonnée. Elle bénéficiait aux enfants de moins de cinq ans, abandonnés par leurs parents ou dont ceux-ci étaient inconnus ou décédés. Par jugement, un lien de filiation pouvait être créé à l’égard d’époux n’ayant pas de descendance et respectant certaines conditions parmi lesquelles une condition d’âge. La mention de cette légitimation était faite en marge de l’acte de naissance de l’enfant qui bénéficiait des mêmes droits et obligations que s’il était né du mariage. De manière irrévocable, les liens avec la famille d’origine étaient rompus. Lors de la réforme de l’adoption, opérée par la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966, l’adoption plénière s’est substituée à la légitimation adoptive et l’article 12 de cette loi précise que les effets de cette nouvelle institution s’appliquent aux légitimations adoptives prononcées avant son entrée en vigueur.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1966, l’article 354 du code civil dispose que la décision prononçant l’adoption plénière est transcrite sur les registres de naissance de l’adopté sans aucune indication relative à la filiation d’origine. L’acte de naissance étant considéré comme nul, c’est alors la transcription de la décision prononçant l’adoption qui en tient lieu. Au contraire, dans l’hypothèse envisagée qui concerne une adoption prononcée avant l’entrée en vigueur de la réforme de 1966, cette filiation apparaît dans la copie intégrale de l’acte de naissance. Pourtant, l’intéressé ignore cet élément de son passé. Lors de sa demande, il n’a par conséquent fait mention ni de l’existence de l’adoption ni de celle de sa filiation d’origine. Dans ce cas, afin de garantir le secret de l’identité des parents d’origine, une instruction générale relative à l’état civil (IGREC) du 11 mai 1999 prévoit que l’officier d’état civil ne pourrait pas lui délivrer une copie intégrale de son acte de naissance contenant la mention de la légitimation adoptive et la demande devrait être soumise au procureur de la République (IGREC, art. 197-8). Puisque l’officier d’état civil lui a pourtant transmis la copie intégrale de l’acte, l’adopté invoque l’existence d’une faute et demande l’indemnisation de son préjudice.
Pour rejeter le pourvoi formé contre l’arrêt ayant écarté cette demande, la Cour de cassation rappelle implicitement qu’une instruction non consacrée par une loi ou un règlement est dépourvue de force obligatoire envers les tiers. Il s’agit seulement d’un texte adressé par une autorité hiérarchique (en l’espèce le garde des Sceaux, ministre de la justice de l’époque, Élisabeth Guigou) à ses subordonnés, afin de préciser l’état du droit. Un tel texte n’a en principe pas de valeur réglementaire et, d’ailleurs, les ministres ne disposent en principe pas de pouvoir réglementaire, qui appartient au premier ministre et, par exception, au président de la République. Les juges n’ont donc commis aucune erreur de droit en écartant ce fondement et, par voie de conséquence, la demande visant à engager la responsabilité de l’officier d’état civil.
En outre, la Cour de cassation observe qu’aucune loi n’impose le secret de l’adoption. Cette dernière fait bien au contraire l’objet d’un jugement. Et, lorsque l’intéressé prétend que l’article 12 du décret n° 62-921 du 3 août 1962 était un fondement qu’auraient dû retenir les juges du fond pour faire droit à sa demande, la Cour de cassation rejette également l’argument. Ce texte vise l’hypothèse de la délivrance d’extraits d’actes et énonce que ces extraits mentionnent les adoptants comme parents dans l’hypothèse notamment d’une légitimation adoptive. L’intéressé envisageait donc une interprétation extensive de l’article 12 du décret qui aurait permis de l’appliquer à la délivrance de copies intégrales de l’acte de naissance. Ce moyen est inopérant.
Cet arrêt du 31 mars 2016 suscite cependant une question : le fait que la loi n’impose pas le secret de l’adoption n’est-il pas de nature à méconnaître le droit au respect de la vie privée et familiale de l’adopté ? La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a affirmé à plusieurs reprises que l’article 8 de la Convention européenne inclut le droit à l’identité mais aussi le droit à l’épanouissement personnel. C’est sur ce fondement que la CEDH recherche si les lois nationales préservent suffisamment, après conciliation des intérêts en présence, la connaissance des origines de l’enfant . Néanmoins, dans son autre versant, le droit à l’épanouissement personnel n’induit-il pas également le droit pour la personne qui ne recherche pas ses origines de ne pas se voir imposer la délivrance de cette information lors de la remise de copies intégrales d’actes, eussent-ils été rédigés avant la réforme de 1966 ?
Source : Actualité Dalloz du 13 avril 2016 , Civ. 1re, 30 mars 2016, FS-P+B+I, n° 15-13.147
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